Les programmeurs ne sont pas de bons utilisateurs

les programmeurs, avec leur compréhension approfondie de la technologie, sont-ils les meilleurs utilisateurs des créations logicielles ?

 Opinions   25 octobre 2024

Les programmeurs ne sont pas de bons utilisateurs

L'évolution de la programmation grand public depuis les premiers jours de l'Atari 2600 jusqu'à l'ère du smartphone soulève une question intrigante : les programmeurs, avec leur compréhension approfondie de la technologie, sont-ils les meilleurs utilisateurs de leurs propres créations ?

J'ai découvert la programmation il y a plus de 40 ans, avec le "jeu" Basic Programming pour Atari 2600, que j'avais demandé à mes parents pour Noël, sans trop savoir à quoi m'attendre. La révélation fut immédiate : interagir avec un ordinateur, lui faire exécuter des tâches inlassablement, et observer des comportements dont moi seul avais décidé, me fascinait vraiment. Rapidement, je suis passé à des appareils plus polyvalents et plus sérieux que l'émulateur BASIC sur cartouche Atari, qui ne permettait même pas de sauvegarder son script (on appelait ça un listing à l'époque). Pour l'anecdote, mon premier appareil programmable était une calculatrice TI-57 LCD.

En ces temps héroïques, la mémoire était rare et chère. Les disquettes se vendaient à l'unité et j'avais eu la chance que le premier véritable ordinateur que j'aie eu, un Atari 800, soit équipé d'une mémoire maximale de 48 Ko (kilo-octets), avec 3 modules de 16 Ko. Pour donner une idée aux gen-Z, 48 Ko représentent 0,0000458 giga-octets (Go). Comparativement, le plus petit des iPhone SE actuels, avec ses 64 Go, contient environ 1.398.101 fois la capacité de mon Atari 800.

La peste soit de l'avarice

J'ai conservé de cette époque une frugalité absolue en ce qui concerne la mémoire de stockage. Je compresse toutes mes images, je supprime les répertoires vides, je désinstalle méticuleusement toutes les applications que je n'utilise pas pendant 3 mois. Cette approche m'empêche d'envisager de nombreuses utilisations de mon ordinateur, notamment l'analyse de grandes quantités de données. Comment, avec une telle phobie de la perte de place, imaginer sereinement la notion de Big Data ou même, à l'avènement du MP3 aurais-je pu me décider à ripper ma collection de CDs ? Cette vision pingre de la technique m'a privé de bien des opportunités.

Ne pas être technicien pour bien utiliser la technologie

Mon amie se targue de trouver rapidement et efficacement tout ce qu'elle recherche sur Google. Bien sûr, je suis persuadé du contraire : je savais programmer avant qu'elle apprenne à parler (oui, elle est jeune), j'ai étudié les sciences de l'information à l'université, et je maîtrise la logique booléenne... Alors qu'elle est tout sauf geek. Autrement dit, je ne peux pas admettre qu'elle utilise un moteur de recherche mieux que moi.

Néanmoins, je dois reconnaître son efficacité à trouver la bonne information. Alors que je cisèle mes requêtes avec soin, j'associe les mots-clés, j'utilise les opérateurs... elle, elle se contente de poser sa question en langage naturel, avec un point d'interrogation à la fin. Et ça marche ! Car Google est tout simplement conçu pour le grand public, c'est-à-dire pour les gens normaux. Pas pour ceux qui, comme moi, ont passé leur adolescence à programmer et à accumuler les échecs sentimentaux.

Utiliser, et ne pas se poser de questions

Cette réflexion s'applique aussi à l'iPad. Je suis constamment déçu par cet appareil qui a la puissance d'un Mac mais dont le système d'exploitation le bride totalement. Mes enfants, tous deux graphistes, n'ont absolument pas la même approche. Pour eux, un iPad est simplement un iPad, pas un nouveau paradigme susceptible de remplacer un ordinateur.

C'est là toute l'ironie de la technologie moderne. Alors que je me débats avec mes vieux réflexes de programmeur amateur, cherchant à optimiser chaque octet et à explorer les limites théoriques des systèmes, le monde autour de moi utilise ces mêmes outils avec une facilité déconcertante, sans se soucier des subtilités cachées sous le capot. Ils vivent la technologie, ils ne cherchent pas à la dompter ni même à la comprendre.

L'efficacité de ma compagne sur Google, la facilité avec laquelle mes enfants adoptent chaque nouvelle fonctionnalité de leur iPad sans se soucier de ses limitations techniques, tout cela me rappelle que la véritable puissance de la technologie ne réside pas dans la manière dont elle est construite, mais dans la façon dont elle est utilisée. L'acceptation fluide des capacités de chaque nouvel outil peut souvent être plus judicieuse que la résistance.

Lâcher prise pour innover

En définitive, peut-être que la leçon la plus importante pour un programmeur amateur n'est pas de savoir comment contrôler, mais plutôt comment lâcher prise. Il est crucial d'observer et d'apprendre de ceux qui perçoivent ces outils non pas comme des puzzles à résoudre, mais comme des extensions de leurs capacités humaines.

Ce n'est qu'après avoir véritablement saisi la nature de la technologie que l'on peut ressortir sa panoplie de programmeur pour, justement, inventer de nouveaux concepts fondés sur les possibilités offertes par le numérique.

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